Parallel Blog

La lutte contre le sida fait l’objet depuis deux décennies de différentes tentatives de communication, dont chacune trouve toujours son lot de détracteurs. Depuis quelques temps, il semblerait que la mode des discours purement informatifs et légèrement solennels soit abandonnée au profit d’un tournant plus “ludique” et dédramatisé car on suppose que le public sera plus réceptif à un message kikoo lol qu’à un discours kikoo mort. Soit.
“Virez-moi donc tous ces médecins avec leurs discours catastrophiques et leurs têtes d’enterrement et embauchez-moi une équipe de créas super rigolos” qu’on a gueulé au Ministère. L’équipe de créas est arrivée et elle a eu une super idée : on va faire des romans-photos. “Bah ouais, Nestor, un roman-photo, c’est vintage mais tendance, et puis comme ça on peut cibler les nouveaux supports” - c’est comme ça qu’on dit Internet dans le milieu de la com’, y a une syllabe de plus que dans Internet, mais apparemment c’est mieux.
A la Gay Pride de 2005 fut donc distribué sur papier les premiers “épisodes” de la série roman-photo pour les pédés (“Et, euh, on met pas les hétéros? - Ne mélangeons pas tout, Nestor”) qui s’appelait “Nous Tous”, hommage subtile au parangon de la culture populaire française, l’inoubliable “Nous Deux”, à ceci près qu’on a remplacé “Deux” par “Tous”, parce que “Deux”, c’est devenu totalement désuet, on le sait.
“Nous Tous” raconte (du moins au début) l’arrivée à Paris (la grande ville) d’un jeune homo qui vient de Lyon (la campagne). Ni une, ni deux, le jeune file dans le Marais (parce qu’en dehors d’une zone délimitée par les rues du Renard, de Turenne, de Rivoli, et de Bretagne, il n’y pas d’homosexuels dans Paris) paré de sa vertu ainsi que de son innocence toute juvénile et provinciale. Très vite, il se lie d’amitié avec tout plein d’autres pédés, docteurs ès backrooms, et “Nous Tous” narre par le détail la vie (essentiellement sexuelle, le reste on s’en tape) de cette bande de joyeux drilles qui entre deux plans culs (à deux ou à plusieurs) se dispensent chacun des messages éducatifs d’un naturel confondant…
La série a continué sur le net, narrant les folles aventures de cette fine équipe (à la fin, ils ont tous couché avec tout le monde, mais parfois l’amour triomphe, mais la fidélité pas trop, parce que faut pas déconner, on est pas des vieux moralistes, nous). Dans la dernière saison en date, les scénaristes ont rajouté une couple de lesbiennes histoire de. D’hétérosexuels, en revanche, on ne verra point ou si peu, car il est bien connu qu’un hétéro et un homo, c’est un peu comme la matière et l’antimatière, ça explose quand on les met ensemble.
Il semblerait qu’en dépit de la vacuité scénaristique et de la portée éducative toute relative de la chose, “Nous Tous” ait remporté un succès suffisant pour que, mazel tov, Pink TV s’en empare et adapte la chose pour l’écran. Et si le roman-photo était parfois franchement cocasse, la version télé est carrément tordante. Car il ne s’agit en fait que des mêmes images, mais les bulles sont lues par des acteurs (dont on suppute qu’ils sont les mêmes que ceux des photos)… Le talent inné des comédiens, conjugué avec le peu de naturel de certains textes (”Ah, tu viens de me jouir dans la bouche. Pourtant je me suis lavé les dents avant, or cela abîme la gencive et augment les risques de contamination“) donne un résultat assez drôle.
Bref, ce genre de campagne ne m’a rien appris que je ne susse déjà (ah ah pardon fallait que je la fasse celle-là), on y enfile les clichés comme des perles, et tout ça pour pas grand chose ; mais peut-être suis-je trop imperméable à ces campagnes thématiques (”Vous les pédés, vous êtes des niqueurs fous alors on va vous montrer”). Après tout, cela est fort louable dans l’intention, mais il est tout de même dommage que le budget de la prévention soit grévé par des campagnes sommes toutes assez anecdotiques, alors que le retour du préservatif à un franc se fait toujours attendre. La prévention contre le sida va t-elle devenir un sport de riches ?